Impact du diagnostic sur la famille
L’annonce du diagnostic du syndrome d’Angelman est un bouleversement qui touche de plein fouet toute la constellation familiale. Parents, enfants, frères et sœurs, grands parents seront, chacun à leur manière, traversés par cette nouvelle donne. La vision que la famille avait d’elle-même, de son passé, de son présent et surtout de son avenir, risque alors de s’effondrer, avec ses certitudes.
L'annonce du diagnostic
Les souvenirs du moment de l’annonce resteront toujours gravés dans la mémoire des parents. Il est très fréquent que les parents se remémorent ce moment et qu’ils le revisitent incessamment: «Le ciel m’est tombé sur la tête», «Je ne comprenais plus rien», «Tout s’est effondré» sont souvent utilisées pour décrire le choc ressenti.
Les premiers mots prononcés par les médecins sur l’état de l’enfant et son évolution probable, la manière dont il a été accueilli par les équipes soignantes sont toujours déterminants. Le fait, par exemple, que les médecins croient à un avenir pour l’enfant se révèle essentiel. Ce regard porté sur l’enfant les rassure et favorise la relation de confiance entre parents et soignants, si importante pour la suite. De plus, il les autorise à se projeter dans le futur, à reconstruire progressivement un projet pour leur enfant et à lui faire partager leur espérance. L’annonce est rarement un moment unique, plutôt une succession d’annonces dans le temps, une addition d’indices qui vont amener à prononcer le nom de la maladie à un moment précis. Pour les parents, c’est un moment crucial de leur vie, susceptible de condamner tout espoir d’avenir pour leur enfant ou bien d’inaugurer une reconstruction, puisqu’il n’existe pas d’autre voie possible que celle de réapprendre à vivre.
L’annonce peut représenter un «terrible soulagement» lorsqu’elle survient après un temps d’errance diagnostique. Pouvoir mettre un nom sur la maladie permet aux parents d’en finir avec les doutes qui les minaient. Avant le diagnostic, certains se sont déjà posé mille et une questions sur les difficultés de leur enfant. Ils sentaient bien que «quelque chose n’allait pas», mais essayaient de se raisonner et d’oublier. Les parents évoquent rétrospectivement cette période comme pleine d’incompréhensionset de solitude : «Je savais que ma fille avait quelque chose bien avant que le diagnostic ne soit posé. Je le ressentais au fond de moi, mais tout le monde me disait que j’étais folle, que j’exagérais, que je me faisais des idées. Même le pédiatre me disait que j’étais trop anxieuse et que je comparais trop ma deuxième avec l’aînée!». L’angoisse des parents est majorée lorsque des explications psychologiques culpabilisantes sont proposées : «Vous surprotégez votre fils», «Votre fille est parfaitement normale, mais vous êtes trop anxieuse madame et vous ne la laissez pas progresser à son rythme ».
Premières réactions
Les réactions des parents sont diverses, parfois déconcertantes. Il ne faut pas seulement s’attendre à voir des parents être tristes et pleurer. Le diagnostic médical qui scelle le destin de l’enfant peut ainsi être remis en cause par certains parents qui refusent la maladie et veulent entendre autre chose que cette «condamnation». Certains deviennent agressifs, ils sont en colère et peuvent se montrer querelleurs, en particulier envers le médecin annonceur, qui dans certains cas peut devenir un mauvais objet sur lequel les parents vont déverser toute leur rage. Ces parents peuvent rester enfermés dans une attitude de reproche, de revendications, comme si le médecin leur était redevable de leur avoir enlevé ce qu’ils avaient de plus précieux : leur insouciance. Difficile, dans ces conditions, de créer une alliance thérapeutique, pourtant si nécessaire pour le bien de l’enfant.
D’autres parents expriment plus ou moins ouvertement un grand désarroi. La somatisation est l’une des réactions fréquemment observée chez les parents : le corps devient le lieu d’expression d’une angoisse qui n’arrive pas à s’extérioriser autrement.
De nombreux parents peuvent avoir le sentiment d’être définitivement détruits par l’épreuve de la maladie de leur enfant. B.Cyrulnik a théorisé sur la capacité de certains individus, gravement traumatisés, à surmonter leurs souffrances, à survivre en dépit de l’adversité, à se reconstruire après la catastrophe. Définie comme «la résistance à la destruction et la capacité à se construire une vie en dépit des circonstances difficiles, d’un environnement défavorable, voire hostile», elle permet d’affirmer que le passé ne condamne pas nécessairement l’avenir et qu’à tout moment une trajectoire de vie peut être modifiée, transformée. Il n’y a pas de douleur sans métamorphose. «Les grands blessés de l’âme, explique Boris Cyrulnik, témoignent avec étonnement du développement intime d’une nouvelle philosophie de l’existence». L’obligation de se demander pourquoi on est confronté à telle ou telle situation invite aussi à découvrir la partie de soi qui attendait de s’exprimer. Pour l’auteur, il est ainsi possible de sortir grandi d’une situation extrême : «le résilient ne peut pas échapper à l’oxymore dont la perle de l’huître pourrait être l’emblème: quand un grain de sable pénètre dans une huître et l’agresse au point que, pour s’en défendre, elle doit sécréter la nacre arrondie, cette réaction de défense donne un bijou dur, brillant et précieux». Il ne s’agit pas d’héroïser la souffrance, mais de savoir que, même dans le malheur, on peut continuer à apprendre et à créer. Beaucoup de parents disent qu’ils ont découvert, grâce à la maladie de leur enfant, des personnes qu’ils n’auraient jamais rencontrées, et affirment vivre des expériences de partage «hors norme». La maladie d’un enfant, en dépit ou à cause de la douleur qu’elle implique, peut être l’occasion de rencontrer sa propre humanité.
Le couple mis à mal
Au cours de l’évolution de la maladie, il peut être difficile pour le couple de maintenir un bon niveau de communication, fondé sur l’échange et le partage des émotions. La maladie s’insinue dans la vie du couple et peut l’envahir. Souvent, les parents en viennent à parler surtout de l’organisation du quotidien, des horaires, des problèmes de rééducation, des difficultés à l’école ou de transport… Le rapport au temps est modifié : perçu comme infini avant la maladie, il se transforme souvent en un temps compté et limité par les contraintes : «Je ne fais plus de projet à long terme, je ne vis plus qu’au jour le jour», explique un père dont le fils est lourdement handicapé.
La liberté est restreinte car la maladie occupe à plein temps : il est difficile de se replier sur soi-même, d’avoir des moments de solitude, de prendre des vacances ou juste d’avoir un peu de répit. «La maladie ne nous quitte jamais, elle ne prend pas de vacances», dit un père.
Le couple peut se sentir submergé par la maladie de l’enfant. Il est épuisant de faire face à la fois aux problèmes de fatigue cumulée, à une surcharge constante de tâches à accomplir, à la peur de l’avenir. Dans ces conditions, difficile de préserver le désir sexuel dont la perte peut devenir une menace. D’où l’importance d’une aide en direction non seulement de l’enfant malade, mais du couple. Le couple dans sa double dimension : le couple parental, mais aussi et surtout le couple conjugal que les parents ont tendance à oublier pour faire face à la maladie de l’enfant.
La répartition des rôles
Tous les couples peuvent rencontrer des difficultés dans leur vie commune. Mais il est certain que l’avènement de la maladie les contraint à se transformer. C’est d’autant plus vrai que l’idée de la maladie ne faisait évidemment pas partie de leurs projets au moment de leur rencontre. À présent, ils doivent surmonter un certain nombre d’obstacles, et en particulier la répartition des rôles face à la maladie de l’enfant. Devant la menace de souffrance, de dislocation, on peut tenter de se protéger en développant des comportements stéréotypés, dans lesquels on s’enferme pour supporter l’épreuve, lutter contre l’angoisse de l’inconnu et la peur du changement. Or se sentir figé et enkysté dans un rôle défini, répétitif, crée de la frustration et peut donner le sentiment d’être mal-aimé. C’est pourquoi il est essentiel pour les couples de parvenir à comprendre leur mode de fonctionnement, puis d’œuvrer pour modifier une dynamique qui dessèche leur relation.
Prendre du temps pour partir en couple, en laissant les grands-parents ou un tiers s’occuper de l’enfant, est un moyen de se ressourcer et de «recharger les batteries» pour continuer à se battre au quotidien face à la maladie. C’est aussi rappeler à l’enfant que ses parents ont leur vie propre. Ce sont des adultes qui ont besoin de se retrouver entre eux et qui peuvent avoir du plaisir en dehors de lui. Les enfants perçoivent cela avec beaucoup d’optimisme et de gaieté. Le répit ne doit pas être exceptionnel, mais constant : il ne faut pas que les parents perdent leur capacité à avoir une vie personnelle, des activités en dehors de la maison et en dehors de l’enfant malade. De plus, leur exemple va lui permettre de comprendre que lui-même peut avoir du plaisir en dehors de ce qu’il fait avec ses parents. Cette prise de conscience le pousse à vouloir connaître d’autres gens et à s’ouvrir au monde extérieur.
Le combat des familles
Socialement, les parents doivent composer avec la stigmatisation sociale que la maladie impose. Encore aujourd’hui, il est difficile de sortir avec un enfant handicapé dans la rue sans être suivi par un regard pesant. Pour eux, il ne s’agit pas seulement de faire face à la maladie au quotidien, mais aussi de la faire accepter à l’extérieur. Le regard est vécu comme accusateur. Il peut faire écho à leur sentiment de culpabilité de n’avoir pas été de suffisamment bons parents pour donner naissance à un enfant en bonne santé, et susciter un pénible sentiment de honte qui risque d’entraîner un lourd sur-handicap familial : le handicap de l’enfant devient celui de toute la famille, constamment en difficulté dans l’image qu’elle pense donner aux autres.
Difficile de supporter le regard des autres, même si c’est parfois l’expression d’une envie de montrer sa sympathie, voire son soutien. Certains vont jusqu’à héroïser la souffrance de la personne malade et de sa famille, parlant d’elles comme de personnes hors normes, capables de supporter une terrible épreuve. Loin de flatter, ce type d’attitude est ressenti comme une stigmatisation qui éloigne des autres.
Un immense travail social reste à faire pour modifier les préjugés et le regard sur le handicap. Et les familles, en plus de leur combat quotidien contre la maladie, doivent se battre aussi sur ce terrain. On constate de grandes inégalités dans la manière d’affronter ce combat. Certaines sont militantes, connaissent et font valoir leurs droits, tandis que d’autres vivent la maladie et ses contraintes dans une très grande solitude, au prix d’un isolement qui peut se révéler délétère.
L'isolement
Résultat du changement notable que provoque la maladie dans la vie du couple : souvent les amis s’éloignent. Les priorités ne sont plus les mêmes, les points communs se diluent, ce qui donne le sentiment de n’avoir plus rien à partager. Parfois même, la maladie génétique peut faire peur à la famille. Elle rappelle aux proches qu’eux aussi sont menacés (c’est très rarement le cas pour le syndrome d’Angelman) ou au contraire qu’ils ont beaucoup de chance de ne pas être confrontés à cette épreuve, ce qui les met aussi mal à l’aise.
La solitude du couple devant l’épreuve de la maladie est l’une des expériences de vulnérabilité la plus radicale qui puisse exister. La détresse sociale dans laquelle le patient et sa famille peuvent se trouver est tout aussi dramatique. Sans un minimum de moyens, ils risquent de s’enfermer dans l’isolement, le désespoir, et la plus grande pauvreté. Aucune aide psychologique ne peut venir compenser ces manques du «minimum vital». Il est important de rappeler ici l’inégalité des moyens dont disposent les patients pour faire face à la maladie. Il suffit d’imaginer la vie d’une famille dont l’enfant ne peut sortir de chez lui que porté dans les bras de son père – ou de sa mère, qui habitent dans un immeuble sans ascenseur et attendent un logement accessible !
La détresse peut être atténuée et dépassée lorsque l’enfant et sa famille sont suffisamment étayés et soutenus par leur milieu familial, social et professionnel. Être malade est une épreuve, être seul devant la maladie est une véritable catastrophe.
L'aide des associations de malades
Pour vaincre l’isolement des familles, il faut noter le travail formidable réalisé par les associations de malades. La rencontre avec d’autres parents qui traversent les mêmes épreuves est salutaire car elle leur permet de «normaliser» leurs difficultés et de se sentir moins isolés. Le partage avec d’autres parents leur permet de constater qu’ils ne sont pas seuls à souffrir ainsi, que ce qu’ils vivent n’a rien d’anormal, d’étrange ni de monstrueux, ce qui leur apporte un réel apaisement. Ce compagnonnage des bénévoles «experts», qui connaissent de l’intérieur la maladie, est un fil rouge pour de nombreux parents. Il les aide à tenir dans la durée.
C’est avec leur histoire personnelle que les malades et leur famille affrontent la maladie quand elle surgit. Cette histoire est déterminante dans la manière dont chacun va réagir, résister et s’armer pour y faire face.
Pour Emmanuel Hirsch, la réponse à cette détresse se trouve dans l’envie de se battre, la solidarité familiale et collective : «Vivre ou survivre à la maladie consiste à pouvoir bénéficier de la capacité d’engager et d’assumer des stratégies de lutte, parfois à long terme. Cette capacité de lutter tient à la fois à la mobilisation de ressources personnelles, mais aussi aux modalités de soutien des proches, et aux différents dispositifs témoignant du devoir de solidarité[1].»
Pour se reconstruire, après le séisme, il est capital d’être accompagné, d’aller à la rencontre d’autrui, de découvrir les autres et de créer du lien. Individuellement, la maladie peut être une occasion de découvrir de nouvelles valeurs, en soi comme chez les autres.
[1] Emmanuel Hirsch, www.espace-ethique.org
Marcela GARGIULO