Oralité
L'alimentation de l'enfant porteur d'un syndrome d'Angelman
Manger et boire sont des activités fondamentales qui semblent naturelles. Dès la naissance, la plupart des nouveaux nés ont un réflexe de succion qui leur permet de téter, puis au fil du développement l’enfant construit une nouvelle motricité qui lui permet de s’alimenter à la cuillère puis à la fourchette, et de boire au verre. Cette zone orale est très investie par le jeune enfant, c’est une zone de nutrition, mais aussi de plaisir et de découvertes.
Les fonctions orales font pourtant appel à de multiples compétences :
- Compétences sensitives pour percevoir puis analyser ce qui est dans la bouche, avant de l’avaler.
- Compétences motrices de la langue, des joues, des lèvres, du voile du palais, du pharynx et de l’œsophage.
- Compétences motrices plus globales pour maintenir une posture adaptée et parfois pour accéder à l’autonomie.
Chez l’enfant porteur d’un syndrome d’Angelman (SA), l’alimentation est souvent difficile et le bavage fréquent. Les origines de ces difficultés sont les mêmes : l’enfant ferme mal la bouche du fait d’une Hypotonie buccale, ne perçoit pas bien ce qu’il a dans la bouche, qu’il s’agisse de salive ou d’aliments, et coordonne mal les mouvements nécessaires à la déglutition. On parle d’une dyspraxie bucco-faciale.
À ces difficultés peuvent s’ajouter des souvenirs désagréables autour de la zone buccale, si, par exemple, l’enfant a dû être alimenté par sonde en période néo-natale. La bouche n’est alors plus vécue comme une zone de découvertes et de plaisir et l’enfant refuse toute texture ou goût nouveau. S’il présente un reflux gastro-oesophagien, problème fréquent, il peut avoir mal quand il avale ou lors du reflux et manifester alors un comportement alimentaire déviant, refus de s’alimenter ou, au contraire, attitudes compulsives avec l’alimentation.
Dans tous les cas, l’objectif essentiel est de faciliter la prise alimentaire et la déglutition salivaire et d’essayer de donner à l’enfant des expériences orales agréables.
Comment faciliter la motricité buccale et réguler la sensibilité qui sont nécessaires à l’alimentation
Pour aider un enfant à téter, on peut l’aider à enserrer la tétine avec les lèvres, s’assurer que la tétine est bien posée sur la langue, amenant une position de langue en gouttière, ceci pour permettre une succion efficace. Le choix d’une tétine adaptée est, lui aussi, important.
Pour l’enfant plus grand, l’alimentation à la cuillère requiert une bonne fermeture de bouche (maxillaires et lèvres), une motricité linguale tant au niveau de la pointe que de la base de la langue et des capacités sensitives qui permettent à l’enfant de percevoir qu’il a des aliments dans la bouche et de les accepter.
Il conviendra d’évaluer les compétences et les difficultés de chaque enfant pour faciliter ce qui est déficitaire, comme souvent la fermeture de bouche et la motricité linguale.
La fermeture de bouche peut être facilitée de face ou par un contrôle latéral comme le montrent les figures suivantes :
Techniques d'aide à la fermeture de bouche
Des pressions exercées avec la cuillère posée bien à plat sur la langue lors de l’alimentation aideront la motricité linguale.
Lorsque l’enfant grandit et si, sur avis médical, une tentative de mastication peut être proposée, on lui proposera des petits morceaux mous (banane, poire bien mûre, pommes de terre vapeur bien cuites, etc) entre les molaires tant à gauche qu’à droite, tout en maintenant la facilitation de fermeture de bouche et bien sûr de flexion de tête.
Si l’enfant est hypersensible, il faudra veiller à adapter les aliments, privilégier de petites cuillères d’aliments mixés et lisses, plutôt tièdes ! Si l’enfant au contraire est hyposensible, on lui proposera des cuillères plus importantes, des aliments plus goûteux et diversifiés au niveau des températures.
Pour boire au gobelet, il conviendra de renforcer les précautions posturales pour limiter le risque de fausse route, d’amener le liquide au contact de la lèvre supérieure de l’enfant pour l’aider à aspirer. En aucun cas on ne lui versera le liquide dans la bouche, encore moins avec la tête basculée en arrière.
Boire de l’eau plate peut être difficile, si l’enfant souffre d’une hyposensibilité buccale. Il faut alors varier les liquides, en jouant sur les goûts (eau avec sirop), les bulles (eau gazeuse ou soda), la consistance (nectar de fruit, smoothies, etc), et la température.
L'autonomie alimentaire
L’autonomie alimentaire doit être facilitée au maximum. Différents ustensiles peuvent y aider : tapis anti dérapant pour poser l’assiette, assiette avec rebord pour aider à la préhension des aliments, couverts avec des manches grossis, parfois coudés, bol avec ventouse, gobelet à échancrure nasale, pour faciliter le maintien de la tête en légère flexion.
Il faut aussi parfois trouver une installation qui facilite l’autonomie : une table légèrement relevée et échancrée pour aider à la stabilité de l’enfant qui peut y appuyer ses coudes, un siège adapté, enveloppant, favorisant l’équilibre.
Bien-sûr, lorsque l’enfant est autonome, il devient plus difficile de contrôler sa motricité buccale et en particulier sa fermeture de bouche. Une raison supplémentaire pour travailler ces compétences le plus précocement possible.
Conséquences possibles d'un trouble alimentaire
Les troubles alimentaires peuvent avoir des conséquences graves, parfois vitales, en lien avec les fausses routes, le reflux gastro-œsophagien, les risques de dénutrition et de déshydratation. Des conséquences moins sévères sont également observables sur le plan orthodontique. Les béances (mauvaise fermeture de l’articulé dentaire), véritable surhandicap souvent directement lié aux difficultés de déglutition initiales, viennent aggraver les difficultés d’alimentation de l’enfant.
Ces troubles ont aussi des conséquences sur la respiration, sur la phonation, sur la communication non verbale (mimiques, sourire, regard peu expressif), et limitent le plaisir et la convivialité du repas. Ils ne sont pas sans conséquence sur la socialisation : le regard de l’autre se modifie face à l’enfant qui grandit, mange mal et bave.
La prise en charge de ces troubles est essentielle. Elle doit être transdisciplinaire. Elle se réalise au moment des repas mais aussi en dehors des repas notamment pour favoriser la respiration, la déglutition salivaire, réguler la sensibilité. Elle s’inscrit dans un projet établi dans le temps, en termes de progrès. Elle vise à donner à l’enfant plus de confort, de plaisir et d’autonomie. L’orthophoniste vous aidera à comprendre les origines des difficultés que peut rencontrer votre enfant et à trouver les adaptations utiles.
La déglutition salivaire ?
Les difficultés de déglutition salivaire ont, nous l’avons dit, les mêmes origines principales que les difficultés alimentaires : troubles sensitifs et troubles de la motricité bucco-faciale. On peut proposer au jeune enfant un «traitement oral», selon le concept Bobath. L’idée est d’apporter des informations dans la bouche avec le doigt, de manière à déclencher la salivation et à faciliter la déglutition selon un schème moteur correct.
Ce traitement vise aussi à une diminution de l’hypersensibilité buccale :
- On s'installe confortablement avec l'enfant.
- On essaie de l’occuper à autre chose, en lui racontant une histoire, en lui chantant une chanson.
- On contrôle sa fermeture de bouche (en contrôle de face ou latéral), en s’assurant que l’enfant peut respirer par le nez.
- On stimule ses gencives, son palais :
- On passe le doigt en aller-retour sur la gencive droite supérieure.
- On attend que l’enfant déglutisse.
- On procède selon la même démarche sur la gencive gauche supérieure, puis sur la gencive droite inférieure, la gencive gauche inférieure, au milieu du palais, sur le côté gauche puis le côté droit.
- Puis on stimule la langue par 3 pressions d’avant en arrière, au milieu, puis à droite et à gauche.
Entre chaque point de stimulation, on attend que l’enfant déglutisse en maintenant sa bouche fermée.
On propose ce traitement trois fois par jour, éventuellement avant les repas, durant 3 à 6 mois. Après 3 mois, on évalue les résultats de ce traitement avec
l’orthophoniste qui suit l’enfant. S’ils sont nuls, le traitement est arrêté, s’ils sont partiels, il est poursuivi un trimestre supplémentaire.
L’objectif est une déglutition correcte automatique. On ne demande donc rien de volontaire à l’enfant, d’où l’idée d’orienter son attention sur un autre sujet (histoire).
Si ce traitement échoue, des patchs qui limitent la production salivaire peuvent être essayés. Ils ne sont pas sans effets secondaires, ils relèvent d’une prescription médicale et d’une surveillance étroite.
Dans tous les cas, et quel que soit l’âge de l’enfant, il faut essayer de l’aider à fermer la bouche, et lui essuyer régulièrement la bouche, pour lui donner la sensation de menton sec et favoriser son image sociale.
Il convient d’éviter les bavoirs infantilisants et de leur préférer des bandanas de diverses couleurs, en les choisissant bien absorbants. On peut aussi proposer à l’enfant des bracelets de tennis man, qui peuvent lui permettre de s’essuyer la bouche de manière autonome, et l’aider à prendre conscience de son bavage.
L’enfant et l’aidant entrent en relation au cours de ce travail sur l’oralité
Chaque enfant est unique. Un travail de coordination entre parents, rééducateurs, médecins prescripteurs, aidants
professionnels doit être mis en place et aboutir à un projet personnalisé, qui vise à aider l’enfant à investir son oralité.
Les adaptations de l’enfant à tout changement et son évolution liée à sa maturation nécessitent en écho un réajustement des pratiques (dans le temps). Ce qui était vrai et juste, hier, ne l’est plus aujourd’hui. Cette petite fille grandit et a envie d’agir, de toucher la nourriture. Cette autre va mieux et les mêmes précautions ne s’imposent plus.
Un travail en triangulation
L’acteur principal, c’est l’enfant, qui perçoit peu à peu que ses parents et les professionnels qui l’accompagnent l’aident à s’alimenter et à retrouver le plaisir de cette alimentation.
Autre rôle de premier rang : celui des parents qui reprennent au quotidien les savoir-faire et savoir-être que leur proposent les professionnels impliqués.
Un rôle «secondaire», ou, en tout cas, plus ponctuel : celui des professionnels qui aident l’enfant à progresser et accompagnent les parents pour trouver les adaptations utiles au quotidien, en écoutant leurs craintes et leurs angoisses, sans jamais les transformer en thérapeutes.
D. CRUNELLE
Orthophoniste et Docteur en Sciences de l’Education
Présidente du CPME de l’AFSA